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Les abeilles ont-elles une personnalité ?

par DALILA BOVET

On peut parler de personnalité chez des animaux quand on observe des différences individuelles cohérentes dans le temps et qui se manifestent dans différents contextes.Certaines abeilles se révèlent plus attirées par la nouveauté que d’autres. Ces différences de comportement reposent sur des variations génétiques. Est-ce qu'on peut donc conclure que les abeilles ont-elles un personnalité ?

Les propriétaires de chevaux savent que certaines montures sont plus fougueuses que d’autres, et les propriétaires de chiens parlent volontiers du tempérament de leur compagnon. Pour autant, peut-on parler de caractère ou de personnalité comme on le fait en psychologie pour les êtres humains ?

Une réponse originale a été récemment apportée à cette question par des chercheurs travaillant avec des abeilles. Oui, il semblerait que ces insectes aient des personnalités différentes. Prenons un exemple. Bien souvent, on voit une abeille quitter la ruche, partir explorer les environs, puis revenir après avoir trouvé de nouvelles fleurs et en informer ses congénères par une « danse ». D’autres ouvrières se dirigent alors vers la direction indiquée. Tout ceci est connu depuis la description de ces comportements par Karl von Frisch en 1944. Et pourtant ? En repérant les abeilles au moyen de petites taches de peinture, les chercheurs ont montré que certaines d’entre elles (entre 5 et 25 pour cent pour les abeilles fourrageuses) recherchent systématiquement de nouvelles sources de nourriture (même lorsque des champs en fleurs ont été découverts), alors que les autres ne font que suivre les indications fournies par la danse. Ces abeilles exploratrices sont-elles spécialisées dans la recherche de nourriture, ou s’agit-il d’une déférence s’exprimant de façon plus large, d’un tempérament de certains individus particulièrement attirés par la nouveauté ?

Abeilles casanières ou exploratrices ?

Pour le savoir, Zhengzheng Liang et ses collègues de l’Université de l’Illinois se sont intéressés à un comportement plus rare : la recherche d’un nouvel emplacement pour la ruche. Lorsqu’une partie des abeilles d’une ruche forme un essaim pour fonder une nouvelle colonie, c’est encore une poignée d’individus qui partent à la recherche d’un emplacement favorable (une cavité dans un tronc d’arbre, une ruche fabriquée par l’homme) ; lorsqu’un tel emplacement est découvert, les exploratrices retournent vers l’essaim et dansent pour l’indiquer aux autres. Ce sont les mêmes qui ont aussi tendance à partir plus facilement à la recherche de nourriture. Il s’agirait donc d’une sorte de « trait de personnalité » s’exprimant dans deux contextes différents : certains individus recherchent la nouveauté et partent à l’aventure, tandis que d’autres préfèrent la sécurité et restent dans les zones déjà connues ou du moins repérées par les abeilles exploratrices.

Peut-on vraiment parler de déférences de personnalité chez ces abeilles ? C’est ainsi que cette étude a été parfois présentée, bien que les chercheurs eux-mêmes n’utilisent pas ce terme dans l’article original. Toutefois, la communauté scientifique admet aujourd’hui que l’on peut parler de personnalité chez des animaux quand on observe des déférences individuelles cohérentes dans le temps et qui se manifestent dans différents contextes. Le comportement des abeilles répond bien à cette dentition.

Mais à quoi sont dues ces différences de comportement ? Z. Liang et ses collègues se sont intéressés à d’éventuelles bases génétiques. Après avoir fourni à des abeilles captives une seule source de nourriture pendant quelques jours, ils en ont ajouté une nouvelle, différente par sa localisation et son odeur. Certaines fourrageuses se sont alors dirigées vers cette nouvelle source, tandis que d’autres préféraient conserver l’ancienne. Cette procédure était répétée plusieurs fois sur plusieurs jours afin de minimiser la probabilité d’une découverte par erreur : étaient considérées comme exploratrices les abeilles ayant découvert au moins deux nouvelles sources de nourriture, et comme casanières celles qui n’avaient jamais quitté la première.

L’expression de certains gènes dans le cerveau des abeilles s’est révélée différente selon qu’il s’agissait des abeilles exploratrices ou casanières: ces gènes sont liés à la transmission de signaux par des neurotransmetteurs tels la dopamine, le glutamate, le GABA ou encore l’ octopamine (cette dernière substance est, comme la dopamine, une catécholamine et joue le rôle de neurotransmetteur chez les invertébrés). Ces gènes sont similaires pour certains à ceux qui, chez les vertébrés, sont impliqués dans la régulation de la recherche de nouveauté et du système de récompense. Ainsi, chez l’homme, un gène codant un récepteur de la dopamine est également associé à la recherche de la nouveauté ? Un être humain curieux et une abeille curieuse auraient ces gènes en commun, bien sûr à quelques différences près.

L’expression des gènes influe-t-elle sur le comportement des abeilles, ou le comportement aventurier de certaines stimule-t-il l’expression de ces gènes ? Pour le savoir, des abeilles casanières ont été nourries avec du sirop additionné de glutamate ou d’octopamine, et sont devenues plus exploratrices. Inversement, l’ajout d’une molécule bloquant l’action du glutamate favorise un comportement casanier ? Ces effets n’affectent que le comportement exploratoire, et non la tendance à bouger ou à fourrager. Ce sont donc bien les différences génétiques qui influent sur le comportement des abeilles.

Toutefois, on ignore les mécanismes en jeu, d’autant que ces effets ne se manifestent pas systématiquement : la disponibilité de la nourriture, l’état de la ruche, le génotype des fourrageuses agissent sans doute aussi sur le comportement exploratoire. De plus, l’ajout de GABA n’a pas de conséquences, et certains effets contradictoires sont observés. Des études complémentaires doivent donc être réalisées, mais celle-ci montre d’ores et déjà de troublantes ressemblances entre certains facteurs influençant la personnalité humaine et celle de l’abeille ! (Article publié dans Cerveau & Psycho n° 52 juillet 2012)

 

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Voir aussi: 

► L’intelligence individuelle de l’abeille

Comportement et cognition : ce que nous apprend un mini cerveau

► Les abeilles victimes de leur intelligence ?

► L’intelligence des abeilles

► L’abeille sait faire des additions et des soustractions

► La reconnaissance visuelle chez les insectes

► L’âme de géomètre des abeilles

 

Auteur
DALILA BOVET
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