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Propolis

Elle colle, elle tache et nous la maudissons parfois lorsque nous visitons nos ruches ; mais elle donne à l’apiculture l’un des parfums qui en fait le charme et en est un produit de plus en plus recherché, source de revenus en croissance pour l’apiculteur. Omniprésente dans nos ruches, la propolis est pourtant le fruit d’une récolte et d’un travail qui n’a rien de simple pour l’abeille. Travail dur, mais indispensable ; car ce mastic, aux propriétés médicinales appréciées depuis l’Antiquité, remplit dans la colonie de multiples fonctions.

Par Janine Kevits

La propolis, origine et nature.

Le terme de propolis [1] s’applique au produit réalisé par l’abeille, constitué à partir de résines collectées sur les végétaux, et mélangées à de la cire. On appellera donc propolis la substance rencontrée dans la ruche ; ce que l’abeille ramène dans ses corbeilles est de la résine.

Sous les climats tempérés le peuplier est considéré dans la littérature comme étant la première source de résine, mais d’autres arbres en fournissent également: les bouleaux et les trembles, les saules et les pins ; et sous les climats européens plus méridionaux, en plus des espèces déjà citées, les cyprès et les cistes, les eucalyptus et les châtaigniers [3]. La résine se récolte sur l’écorce des troncs et branches, à la surface de certains fruits et surtout sur les bourgeons et les jeunes feuilles ; elle est sécrétée dans un but de protection, soit sur les parties blessées d’un arbre pour protéger celui-ci de l’intrusion de parasites ou d’agents pathogènes, soit sur les jeunes bourgeons et feuilles qu’elle protège des maladies bactériennes et fongiques.

Sous les climats tropicaux ou équatoriaux, la résine est également produite par des fleurs et serait une manière, pour certaines plantes, d’attirer les abeilles qui assurent leur pollinisation. Marginale sous nos climats, la collecte de résine est en effet pratiquée à un rythme bien plus soutenu par les abeilles tropicales, comme on le verra ci-dessous. Il n’est donc pas étonnant que certaines plantes à fleurs aient acquis, par co-évolution avec les abeilles, des mécanismes de production de résine visant à attirer leurs pollinisateurs, comme d’autres plus nombreuses l’ont fait avec le nectar.

 

Dalechampia scandens, une fleur productrice de résine, est usuellement pollinisée par les abeilles qui collectent cette ressource.

 

Généralement les abeilles disposent sans problème de sources de résine. Toutefois, lorsqu’elles en sont privées, elles peuvent récolter des substituts peu recommandables, comme de l’asphalte ou de la peinture, qu’elles mélangent avec la « vraie » propolis, ce qui en altère évidemment la qualité [1][3]. Il vaut donc mieux s’assurer que les abeilles disposent d’une végétation adéquate à proximité du rucher, précaution surtout valable pour les abeilles élevées en ville.

Une récolte laborieuse

Seule une petite partie des butineuses récoltent la propolis (1% ou moins) [13]. C’est en effet, en poids, la collecte la plus marginale de nos colonies : 50 à 150g/an en moyenne ; mais la plus « propolisante » des abeilles mellifères, la Caucasienne, pourrait en ramasser jusqu’à 1 kg [3]. On ignore tout des critères sur lesquels elles se basent pour choisir leurs sources de résine.

La récolte n’est pas facile on l’a dit. L’abeille doit tout d’abord dégager la résine du végétal, l’extraire au besoin des poils couvrant le bourgeon ou la feuille, et parfois fragmenter celle-ci à l’aide des mandibules. Les particules de résine, une fois dégagées, sont triturées à l’aide des mandibules puis reprises par les pattes antérieures, passées à une des pattes médiane et de là à la corbicule d’une des pattes postérieures [15]. L’abeille s’envole alors, et parfois tourne autour de la source pour se poser une nouvelle fois et compléter la charge ; ce « pré-vol » pourrait être pour elle un moyen d’apprécier l’importance de la charge déjà collectée. L’ensemble du processus prend entre quelques minutes et une heure de temps. Une partie de la propolis peut aussi être transportée entre les mandibules [10].

De retour au nid, l’abeille se rend à l’endroit où la propolis doit être déposée ; elle y est déchargée par d’autres abeilles La butineuse est en effet incapable de décoller elle-même la résine de ses corbicules. L’enlèvement d’une charge de propolis est un processus de longue durée : il peut prendre de une à sept heures et il arrive que plusieurs ouvrières collaborent simultanément au déchargement d’une même butineuse. Celle-ci, si elle n’est pas déchargée assez vite, procède à des danses tremblantes, exactement comme les butineuses de nectar ; ces danses ont pour effet de recruter de nouvelles receveuses de propolis. La plupart des butineuses de propolis ne se contentent pas de la collecte, mais procèdent aussi à la mise en œuvre du produit. Se faisant alors « cimentières », elles découpent et malaxent, à l’aide des mandibules, des morceaux de résine qui sont mélangés à de la cire pour en faire la propolis proprement dite ; et utilisent ensuite ce matériau pour effectuer les opérations de cimentage et de calfatage nécessaires au confort de la ruche. Parfois aussi la propolis est déposée provisoirement dans un lieu de stockage d’où elle sera reprise en fonction des besoins. Les butineuses de propolis ne constituent donc pas une catégorie distincte des abeilles cimentières, classe d’ouvrières chargées de la maintenance du nid. Toutefois les ouvrières qui manipulent la propolis sont en moyenne un peu plus jeunes que les butineuses ; on y trouve aussi des abeilles d’âge moyen, comme le sont les magasinières qui traitent le nectar. Certaines de ces jeunes cimentières, devenues butineuses, ne collecteront d’ailleurs pas de résine, mais se tourneront vers d’autres ressources, pollen ou nectar [10].

 

La récolteuse est incapable de se défaire elle-même de sa charge de propolis ; ce sont d’autres ouvrières qui effectuent la décharge

 

Le travail de la propolis se distingue donc de celui du pollen ou du nectar en ceci, que celles qui utilisent le produit sont largement confondues avec celles qui le récoltent. On notera aussi que la décharge, si elle est faite par d’autres ouvrières comme celle du nectar, a lieu au centre du nid (et non à l’entrée comme c’est le cas pour le nectar), ce qui se comprend à deux points de vue. D’une part, ce système rationalise les mouvements à l’intérieur de la ruche, puisqu’une seule charge est divisée entre plusieurs ouvrières – le gros du trajet est donc effectué par une seule abeille, la butineuse, tandis qu’il le serait par plusieurs cimentières si celles-ci devaient se rendre à l’entrée de la ruche pour s’approvisionner. D’autre part, ce système permet à la butineuse de s’informer des besoins en propolis de la colonie.

Car la récolte de résine, comme celle du pollen, du nectar ou de l’eau, fait l’objet d’une régulation. Le déclencheur du butinage est vraisemblablement fourni par l’état du nid : surfaces rugueuses, nécessitant un lissage, fissures à boucher, courants d’air à combattre, objets malodorants à couvrir (les languettes de thymol ! Une partie des butineuses de propolis observées par Nakamura et Seeley (2006) ont été vues inspectant les crevasses en y insérant les antennes, qui sont, rappelons-le, le principal organe du toucher de l’abeille - en laboratoire ces butineuses spécialisées discriminent d’ailleurs les stimuli tactiles mieux que les autres [12]. La régulation du butinage serait donc effectuée par les butineuses elles-mêmes, qui procèdent par évaluation directe de la demande, système évidemment facilité par le fait que ces butineuses sont aussi le plus souvent celles qui mettront la matière en œuvre. Mais ceci n’exclut pas qu’il existe aussi une régulation par la danse, comme pour le nectar ou le pollen. Des danses frétillantes sont en effet exécutées par les butineuses de propolis, mais, à la différence des danses pour le butinage du nectar ou du pollen, elles ont lieu, non sur les pistes de danses situées près de l’entrée de la ruche, mais près des sites d’utilisation [10]. Ceci suggère que le recrutement vise, non pas les butineuses inoccupées qui fréquentent les pistes de danses, mais bien les cimentières occupées au calfatage. Une raison d’être de cette particularité, pourrait être que les cimentières expérimentées seraient aussi de meilleures butineuses, la manipulation de la résine nécessitant une habileté particulière. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que les butineuses de résine soient ordinairement très fidèles à cette tâche : sur 80 abeilles observées plusieurs jours de suite par Nakamura et Seeley, 63 ont collecté la résine plusieurs jours en suivant, 17 seulement passant à une autre ressource après 1 seul jour de collecte de résine. La plus persistante n’a fait que collecter de la résine pendant 18 jours d’affilée ! Une experte, certainement…

 

Le déclencheur du butinage de propolis est vraisemblablement fourni par l’état du nid : surfaces rugueuses, nécessitant un lissage, fissures à boucher, etc.

 

Si les deux hypothèses quant au déclenchement du butinage (évaluation des besoins et danse) étaient vérifiées conjointement, cela signifierait que les abeilles sont capables d’intégrer des informations provenant de plusieurs sources distinctes pour ajuster leur comportement aux besoins de la colonie : encore un bon point pour le mini-cerveau de nos petites amies ! Toutefois la démonstration n’est pas entière à ce jour. L’effet des danses sur le butinage n’est en effet pas démontré ; ce pourrait n’être là qu’un vestige de comportements de butinage plus généraux [12].

Composition de la propolis

La propolis est un mélange très complexe ; plus de 300 molécules différentes y ont été identifiées. On y trouve, grosso modo, 30% de cire, 50% de résine, 10% d’huiles essentielles et aromatiques, 5% de pollen et 5% de substances diverses, organiques et minérales. Ce sont évidemment les résines et les huiles aromatiques qui lui confèrent ses propriétés médicinales. Les principaux constituants de celles-ci sont des terpènes, qui confèrent à la propolis son odeur particulière, et des flavonoïdes (voir encadré). On y trouve aussi des acides phénoliques, dont l’acide caféique et ses dérivés qui sont responsables d’une bonne partie de ses propriétés pharmacologiques (pour la composition détaillée voir [9]. La propolis renferme aussi des vitamines (B1, B2, B6, C, E, les acides nicotinique et folique), des minéraux (calcium, magnésium, fer, cuivre, zinc, manganèse, nickel, cobalt, vanadium et strontium) et des enzymes [8]. Environ 10% de ses composés (principalement des terpènes) sont volatils.

La propolis varie sensiblement en composition selon la région d’origine et les espèces végétales sur lesquelles elle a été récoltée ; cela pose d’ailleurs problème pour la standardisation du produit à des fins pharmaceutiques. Elle présente des couleurs variées (brune, rouge, jaune ou verdâtre) et différentes textures  - sous nos climats, la propolis rouge est ainsi plus dure et cassante que celle de couleur jaune-vert, plus molle et collante.

 

La composition chimique de la propolis varie selon l’espèce végétale récoltée. Ces variations se reflètent dans sa couleur et sa texture.

 

Toutefois, aux températures basses, toutes les propolis deviennent dures et cassantes (raison pour laquelle le matériel apicole se nettoie à froid ; l’eau chaude, pour autant que nécessaire, ne s’utilise que dans un second temps).

Fait surprenant, malgré ces différences physico-chimiques, toutes les propolis étudiées ont des propriétés médicinales grosso-modo similaires [2].

Des propriétés connues de longue date

Ces propriétés, notamment antibactériennes, sont connues depuis l’antiquité.

Depuis quand, et par qui, il n’est pas aisé de le savoir. On lit souvent, par exemple, que les anciens Egyptiens s’en servaient pour l’embaumement de leurs momies. D’une recherche, limitée il est vrai, je n’ai toutefois trouvé aucune confirmation crédible de cet usage ; s’il est certain que la momie, une fois enroulée dans ses bandelettes, était traitée à l’aide d’une résine antibactérienne, le fait que cette résine ait été ou ait contenu de la propolis ne semble pas attesté.

Mais des auteurs antiques en parlent, et avec pertinence. Aristote par exemple (384-322 avant notre ère) en dit ceci : Ainsi, quand on leur livre la ruche toute vide, elles construisent les cellules de cire, en y apportant les larmes de toutes les fleurs et celles des arbres, comme le saule, l'orme, et les arbres qui produisent le plus de matières visqueuses. Elles enduisent soigneusement de cette matière le plancher de la ruche, afin de se défendre des autres animaux. C'est ce que les éleveurs nomment la collisis (en grec κόλληση signifie « collage », NDLR) ; les abeilles s'en servent aussi pour bâtir les entrées de la ruche, quand elles sont trop larges[2]. Et plus loin encore, il évoque ce qu’il considère comme une autre substance mais n’en est pas moins aussi de la propolis : A la bouche de la ruche, le bord de l'entrée est enduit de mythis. Cette matière, qui est d'un noir assez foncé, est comme une purification de la cire pour les abeilles, et l'odeur en est très-forte. C'est un remède contre les contusions et les plaies qui suppurent.

Quatre siècles plus tard, Pline l’Ancien (23-79 de notre ère) n’en dit pas autre chose. Lui aussi parle des larmes des arbres qui produisent une glu, avec le suc, la gomme, la résine du saule, de l'orme et du roseau. Avec ces substances et d'autres sucs plus amers, elles (les abeilles, NDLR) font d'abord un enduit dont elles revêtent tout l'intérieur de la ruche, sorte de défense contre l'avidité d'autres petites bêtes; car elles savent bien qu'elles vont fabriquer ce qui peut être un objet de convoitise. Puis avec la même matière elles rétrécissent les portes trop larges. Il parle encore de la propolis comme étant une des couches de la cire, ce qui est faux, mais cite comme origine la gomme des pins et des peupliers, ce qui est vrai, et dit qu’on s'en sert beaucoup dans les compositions médicamenteuses.[3]

Les Grecs et Romains de l’antiquité connaissaient donc, non seulement la substance, mais aussi son origine, l’usage qu’en fait l’abeille, et ses propriétés médicinales. Ces dernières sont toujours d’actualité, aujourd’hui plus que jamais d’ailleurs ; la propolis se vend sous diverses formes, brute, en solution alcoolique ou en gélules. C’est un peu une mode, mais celle-ci n’est pas sans fondement : ses propriétés médicinales ont fait l’objet de nombreuses études scientifiques, réalisées surtout sur des cultures de cellules et sur l’animal. Elles viennent principalement de composés extractibles par l’alcool, ce qui explique le succès des solutions alcooliques. Antibactérienne, antivirale, antifongique, elle a aussi des propriétés antioxydantes, antiinflammatoires, et antitumorales. Elle protège des organes comme le cœur et le foie, améliore la régénération des cartilages osseux et est cicatrisante, notamment des blessures de la bouche ou de la cornée. Elle est toutefois aussi allergène, et peut s’avérer dangereuse pour les personnes qui y sont hypersensibles [6].

On ne s’étendra pas plus sur ce point ; les personnes intéressées par les propriétés pharmacologiques de la propolis peuvent se reporter à la revue de S. Bogdanov (2015), qui en dresse liste, et liste aussi les études scientifiques qui les supportent. Tournons-nous plutôt vers le petit monde des insectes, qui eux aussi utilisent activement ces propriétés.

Insectes et résines, une association répandue

L’évolution du comportement de collecte de résine est mal connue. Notamment on ignore si ce type de collecte est antérieure ou postérieure à la séparation entre fourmis et abeilles au sein des hyménoptères [12]. Car en effet, les abeilles ne sont pas les seules à utiliser des résines végétales, des fourmis le font aussi.

La fourmi du bois Formica paralugubris par exemple incorpore des morceaux de résine de pin solidifiée à son nid, ce qui a pour effet d’y inhiber le développement des micro-organismes parasites. Un grand nid peut en contenir jusqu’à 20 kg [7]. La présence de cette résine diminue l’effort immunitaire fourni par l’individu. La résine protège aussi le couvain ; les fourmis ouvrières en accroissent d’ailleurs la récolte lorsque du couvain est présent dans le nid, et la placent préférentiellement à proximité de celui-ci [4].  L’usage semble prophylactique et non curatif : en effet la récolte ne s’accroît pas en réponse à la contamination par deux des microchampignons pathogènes pour la fourmi (ils ne le sont pas pour l’abeille) : Beauveria bassania (Ibid.) et Metarhizium anisopliae [5].

Dans le genre Apis, l’usage de la propolis variable suivant les espèces : A. cerana n’en utilise pas du tout ; A. dorsata s’en sert occasionnellement pour solidifier l’ancrage de son rayon à la branche qui lui sert de support. Chez A. florea par contre l’usage est systématique : son rayon unique est également accroché dans un arbre, et elle enduit d’un manchon de propolis tout branche pouvant donner accès à son nid pour en barrer l’accès aux fourmis [12].

Apis mellifera aussi utilise systématiquement de la propolis dans son nid, et cela dans des buts variés.  Dans les colonies domestiques, l’usage le plus fréquent est le colmatage des fissures de la ruche ; et des piliers de propolis sont parfois constitués pour en rétrécir l’entrée. La propolis sert aussi embaumer le cadavre d’un animal tué à l’intérieur de la ruche et trop volumineux pour en être sorti par les abeilles, comme par exemple celui d’une souris. Enfin, le bord des cellules est généralement enduit d’une fine couche de propolis qui l’épaissit et le solidifie, formant le réseau à mailles hexagonales sur lequel l’abeille se déplace; la propolis contribue à donner à ce réseau les caractéristiques de résistance nécessaires à la transmission, par le rayon, des ondes vibratoire qui sont l’un des moyens de communication des abeilles entre elles, utilisé notamment lors de la danse [14].

 


Les abeilles ajoutent un peu de propolis au bourrelet formant le bord des cellules afin de solidifier celui-ci, qui sert de support au déplacement de l’abeille.

 

Les colonies férales ou sauvages recouvrent la paroi interne du creux qui abrite le nid d’une couche de propolis sur toute la hauteur des rayons, créant ainsi une mince « enveloppe » de moins d’un millimètre d’épaisseur. Cette enveloppe permet de solidifier l’ancrage des rayons et sans doute aussi de protéger le nid contre l’humidité extérieure, notamment celle qui pourrait provenir de la sève lorsque le nid occupe le creux d’un arbre [12].

L’abeille domestique (au sens de « détenue par l’homme ») récolte moins de propolis que ses congénères vivant dans la nature. Il est possible que la raison en soit la sélection par laquelle les apiculteurs ont tenté, entre autres objectifs, de réduire la production de cette matière collante qui complique l’ouverture des ruches et la manipulation des cadres [12].

Des abeilles mélipones[4] collectent également la résine, et c’est même, pour certaines, une substance à ce point importante que les sources en sont exploitées quotidiennement et font l’objet d’une garde. L’usage dépend de l’espèce, et est des plus varié, voire parfois extravagant. Si certaines l’utilisent pour protéger le nid des fourmis, en façonner l’entrée ou embaumer un petit prédateur tout comme nos abeilles, d’autres s’en servent dans un but plus guerrier. Des abeilles du genre Melipona en roulent des boulettes qu’elles conservent près de l’entrée : en cas d’attaque par un prédateur, elles les empilent pour former un mur défensif. D’autres appliquent de la résine collante sur les poils du prédateur qu’elle attaquent (elles ne piquent pas mais certaines espèces mordent ou émettent des sécrétions caustiques). D’autres encore s’en servent pour former un mur intérieur, derrière l’entrée. La résine est mélangée à de la cire, mais aussi parfois à de la boue, ou à de petites pierres [11].

Si dans le monde des insectes la propolis sert un peu à tout (colle, mastic et même arme de guerre), les effets les plus importants de sa présence dans le nid sont, on l’aura compris, d’ordre sanitaire. Car chez l’abeille aussi, les effets pharmacologiques de la propolis sont démontrés. Quels sont-ils ? Cela, ami lecteurs, sera pour une prochaine livraison de LSA. Car pour les comprendre bien, il faut explorer préalablement ce qu’est le système immunitaire de l’abeille, petit exercice qu’on vous promet pour bientôt. D’ici là, portez-vous bien… avec de la propolis à portée de la main, les rhumes ne devraient pas vous empoisonner l’hiver !

 

Terpènes, flavonoïdes et autres composants de la propolis

 


Propolis brute

 

Les terpènes sont des composés hydrocarbonés, à chaine linéaire ou cyclique, généralement odorants (l’un d’eux est responsable de l’odeur particulière des oranges ; d’autres, des parfums du basilic, du camphre, du thym, de l’eucalyptus…). Ils sont très présents dans les résines, notamment dans la résine de pin, mais aussi dans les huiles essentielles de fleurs. La vitamine A est un terpène ; l’arôme et la saveur du houblon, recherchés dans la bière, sont dus à des terpènes. Ils sont très utilisés dans les industries alimentaire, pharmaceutique et cosmétique, et dans la biotechnologie. Les propriétés médicinales qui leur sont attachées sont nombreuses : préventifs des cancers, antifongiques, antiviraux, antibactériens, anti-hyperglycémiques et anti-inflammatoires. Certains d’entre eux modifient la chimie du cerveau : ce sont des terpènes qui produisent les arômes, mais aussi les effets du cannabis.

Les flavonoïdes sont des composés polyphénoliques (composés organiques comportant plusieurs cycles de 6 carbones) très présents dans les plantes. On trouve, parmi eux, les pigments qui donnent aux fleurs et aux fruits leurs couleurs jaune, orange, rouge (tomates, framboises…), et d’autres responsables des couleurs bleues ou mauves (myrtilles, mûres…). Un même pigment peut donner une gamme de couleurs différentes selon l’acidité (le pH) du milieu. Ils ont une grande valeur alimentaire, quoiqu’ils soient peu absorbés par l’organisme humain ; notamment, ils ont des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires, et leur consommation est associée à la diminution du risque de développer certains types de cancers. C’est pourquoi il faut manger des fruits et des légumes ; cinq gouttes de propolis par jour ne compensent pas une déficience alimentaire en produits végétaux !

Les acides phénoliques ont grosso modo les mêmes propriétés que les flavonoïdes. L’acide caféique, ainsi dénommé car il est très présent dans le café – mais distinct de la caféine -,  en est un. Il est le responsable principal de certaines propriétés curatives de la propolis (antioxydant, antimutagène).

 

[1] Le terme vient d’un mot grec qui signifie « devant la ville », car les abeilles utilisent parfois cette matière pour boucher partiellement l’entrée de vol.

[2] Histoire des animaux, livre IX, chapitre XXVII, §6.  Source : site de Philippe Remacle et associés : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/animaux9ab.htm#XXVII. Ce site expose les traductions françaises d’un très grand nombre d’auteurs notamment latins et grecs – mais de beaucoup d’autres aussi ! Il vaut la visite.

[3] Histoire naturelle, livre IX, § V et VI. ibid.: http://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/.

[4] Les Mélipones ou abeilles sans aiguillon (les stingless bees des Anglophones) sont indigènes sur les continents africain et américain. Il en existe quelque 800 espèces différentes.

 

Voir aussi:

Production de la cire par les abeilles

 

 

 

Bibliographie

[1] Alqarni AS, Rushdi AI, Owayss AA, Raweh HS, El-Mubarak AH et Simoneit BRT, 2015 : Organic Tracers from Asphalt in Propolis Produced by Urban Honey Bees, Apis mellifera Linn. PLoS ONE 10(6): e0128311. doi:10.1371/journal.pone.0128311

[2] Bogdanov S, 2015 : Propolis : Composition, Health, Medicine, a review. Cet article est disponible (en anglais) sur le site Bee-Hexagon de Stefan Bogdanov, chercheur du centre suisse de Liebefeld  (http://www.bee-hexagon.net/)

[3] Bogdanov S et Bankova V, 2015 : The Propolis Book Chapter 1 : Propolis: Origin, Production, Composition. Cet ouvrage de premier intérêt est également disponible sur le site Bee-Hexagon (http://www.bee-hexagon.net/)

[4] Brütsch T et Chapuisat M, 2014: Wood ants protect their brood with tree resin, Animal Behaviour 93: 157-161

[5]  Castella G, Chapuisat M et Christe P, 2007: Prophylaxis with resin in wood ants, Animal Behaviour 75: 1591-1596

[6]  Castro SL, 2001 : Propolis: biological and pharmacological activities. Therapeutic uses of this bee-product, Annual Rev Biom Sci 3: 49–83

[7]  Christe P, Oppliger A, Bancala F, Castella G et Chapuisat M, 2003: Evidence for collective medication in ants, Ecology Letters 6: 19–22

[8]  Farooqui T et Farooqui AA, 2012: Beneficial effects of propolis on human health and neurological diseases, Frontiers in Bioscience E4, 779-793

[9]  Huang S, Zhang C-P, Wang K, Li GQ et Hu F-L, 2014: Recent Advances in the Chemical Composition of Propolis, Molecules 19: 19610-19632; doi:10.3390/molecules191219610

[10]  Nakamura J et Seeley TD, 2006: The functional organization of resin work in honeybee colonies, Behav Ecol Sociobiol 60: 339–349

[11]  Roubik DW, 2006: Stingless bee nesting biology, Apidologie 37(2): 124-143

[12]  Simone-Finstrom M et Spivak M, 2010: Propolis and bee health: the natural history and significance of resin use by honey bees, Apidologie 41: 295–311

[13]  Simone-Finstrom MD et Spivak M, 2012: Increased Resin Collection after Parasite Challenge: A Case of Self-Medication in Honey Bees? PLoS ONE 7(3): e34601. doi:10.1371/journal.pone.0034601

[14]  Tautz J, 2009: L’étonnante abeille, De Boeck éd.

[15]  Weinstein Teixeira E, Negri G, Meira RMSA, Message D et Salatino A, 2005: Plant origin of green propolis: bee behavior, plant anatomy and chemistry, Evid Based Complement Alternat Med. 2: 85–92.

 

Author
Janine Kevits
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