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La salive du varroa et ses effets sur l’abeille

En 2019, on apprenait, avec étonnement, que le varroa ne se nourrissait pas de l’hémolymphe des abeilles mais qu’il perçait leur cuticule pour ingérer leur fameux corps gras (►voir article).

Les recherches progressent très rapidement et on découvre, aujourd’hui, que la salive du varroa adulte lui permet de maintenir bien ouvert l’orifice qu’il a percé à travers la membrane de la nymphe ou de l’imago pour pouvoir liquéfier puis aspirer le corps gras. Une enzyme salivaire (la chitinase) diminuerait les défenses immunitaires de l’abeille et jouerait un rôle important dans la survie du varroa… on imagine tout naturellement un blocage de cette enzyme pour la future lutte contre le funeste parasite…

 La femelle varroa, on le sait, s’alimente en phase reproductive des fluides internes des abeilles en cours de nymphose. Elle doit pour cela perforer le tégument de son hôte, ce qui lui prend près d’une heure ; et la blessure ainsi créée, située généralement sur le second segment abdominal, doit rester ouverte pendant tout le temps nécessaire à l’alimenter elle-même et à assurer la croissance de toute sa progéniture - les jeunes varroas sont en effet incapables de percer la cuticule de l’abeille, et il revient à la fondatrice de créer le site de nutrition qui alimentera toute la famille.  Ce n’est pas un mince défi pour le parasite, car il lui faut, pour réussir l’entreprise, percer une couche qui à son échelle est très résistante, éviter une réaction immunitaire de l’abeille parasitée, et enfin protéger celle-ci d’autres agents pathogènes susceptibles de la tuer, ce qui priverait notre varroa de la ressource nécessaire à mener à bien sa descendance.

Chez les arthropodes parasites, la salive joue usuellement à cet égard un rôle important. Plus précisément chez le varroa, des études antérieures ont montré que la salive intervient dans la dissolution des corps gras, dont la forme phorétique se nourrit sur l’abeille adulte [1], et qu’elle est toxique pour les larves femelles d’Apis cerana – c’est pour cette raison que dans la nature, Varroa destructor évite de parasiter le couvain femelle de cette espèce d’abeille (Zhang et Han 2018). Ces faits ont conduit une équipe scientifique à investiguer les effets possibles d’une enzyme présente dans la salive de cet acarien.

Ils ont d’abord étudié le génome [2] de Varroa destructor (qui a été décrypté en 2017) pour identifier tous les gènes susceptibles de coder pour des protéines présentes dans le venin ou la salive d’arthropodes parasites ; puis ils ont recherché, parmi ces gènes, lesquels étaient surexprimés dans la salive de l’acarien, en comparant le niveau d’expression dans les glandes salivaires à celui existant dans le reste du corps.[1] 

Une seule protéine ressort clairement de cette recherche. Il s’agit d’une chitinase, c’est-à-dire une enzyme capable de détruire la chitine, qui est exprimée environ 340 fois plus dans les glandes salivaires que dans le reste de l’organisme du varroa. (Image1) [2] Cette enzyme faciliterait le percement de la cuticule de l’abeille par le parasite [3], et contribuerait au fait que la blessure ainsi occasionnée est maintenue ouverte pendant tout le temps nécessaire à l’alimentation de la fondatrice et de sa progéniture.

 

 

Image 1 : Image en microscopie optique de la partie antérieure d’un varroa qui a fait l’objet d’une coloration. Sg : glandes salivaires ; C : chélicères ;: pédipalpes ; B : cerveau. Le colorant bleu « reconnaît » l’ARN assurant l’expression du gène codant pour la chitinase. Comme on le voit, la coloration est limitée aux glandes salivaires. Ceci est l’un des moyens par lesquels les chercheurs ont pu identifier la chitinase comme l’un des composants propres à la salive, à partir de quoi ils ont pu en étudier les effets chez Varroa comme chez l’abeille. La barre d’échelle représente 1/10ème de millimètre (100 mm). Source : Becchimanzi et al. 2020, image sous license Creative Commons Attribution.

 

Les chercheurs ont ensuite rendu silencieux le gène de la chitinase chez des séries de 10 varroas ; concrètement, ces varroas ont été trempés dans un bain contenant de l’ARN qui bloque l’ADN codant pour l’enzyme ; les varroas ainsi traités ne peuvent donc plus fabriquer la chitinase. Ils ont infesté des pupes d’abeilles avec des séries de varroas non traités, et des séries des varroas traités et donc privés de chitinase.

Ils ont constaté que la mortalité des varroas dépourvus de chitinase dépassait de 60 % celle des varroas témoins  - l’enzyme joue donc un rôle important pour la survie du parasite. Par ailleurs, examinant cette fois les nymphes d’abeilles parasitées, ils ont mis en évidence un effet de la chitinase sur l’immunité de l’hôte. En effet, plusieurs gènes associés à la réponse immunitaire sont bien mieux exprimés lorsque la nymphe est parasitée par un varroa privé de chitinase, que lorsqu’elle l’est par un varroa non traité. Les gènes concernés sont notamment ceux codant pour l’abaecine, l’apidaecine et l’hymenoptaecine, qui sont des substances antimicrobiennes essentielles dans la lutte contre les maladies fongiques et bactériennes. La production de ces substances antimicrobiennes est donc freinée par la chitinase normalement présente dans la salive du varroa. Ceci confirme et explique (au moins partiellement) le fait, constaté par ailleurs, que l’infestation par Varroa destructor diminue les défenses immunitaires de l’abeille. Enfin, la chitinase pourrait jouer un rôle dans la régulation de la prolifération microbienne autour du site d’alimentation du parasite.

 

 

Image 2 : Image en microscopie électronique à balayage du site d’alimentation d’un varroa situé sur la membrane intersegmentaire d’une abeille. Le varroa a été retiré pour les besoins de la photo. L’orifice d’alimentation est bien visible (flèche noire), de même que l’empreinte laissée par l’acarien sur la membrane, et les coussinets de l’extrémité des pattes antérieures (flèches blanches), qui sont restés accrochés lorsque le varroa a été arraché. Cette image remarquable a été prise à l’USDA-ARS de Beltsville aux USA (l’USDA-ARS est le service de recherches du département américain de l’agriculture). Source: Ramsey SD, Ochoa R, Bauchan G et al., 2019 : Varroa destructor feeds primarily on honey bee fat body tissue and not hemolymph, Proceedings of the National Academy of Sciences 116(5) : 1792-1801, reproduit avec l’aimable autorisation de S. Ramsey.

 

C’est un pas de plus vers le développement de stratégies de biocontrôle dans la lutte contre varroa. En effet, il est théoriquement possible de traiter les abeilles avec un ARN interférent capable de bloquer un gène du parasite (ici, il s’agirait de celui codant pour la chitinase) ; et cela d’autant mieux qu’il a été montré par ailleurs que l’ARN peut faire l’objet d’un double transfert, depuis l’abeille traitée vers le varroa, et depuis le varroa vers une autre abeille (Garbian et al. 2012), ce qui assurerait la bonne répartition du traitement dans la ruche.

 

[1] Voir le « Lu pour vous » de LSA nº 291, pp.223-226.

[2] Le génome est l’ensemble des gènes d’une espèce ; concrètement c’est une série de séquences de molécules (qu’on représente chacune par une lettre), séquences qui contiennent, sous forme codée, la formule de toutes les protéines que l’organisme de cette espèce doit pouvoir synthétiser pour survivre, se développer et se reproduire.

[3] La chitine, substance proche de la cellulose par sa composition, forme des fibres qui contribuent très largement à la résistance de la cuticule.

 

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Bibliographie

Article source: Becchimanzi A, Tatè R, Campbell EM, Gigliotti S, Bowman AS et Pennacchio F, 2020:  A salivary chitinase of Varroa destructor influences host immunity and mite’s survival, PLoS Pathog 16(12): e1009075. https://doi.org/10.1371/journal.Ppat.1009075

Garbian Y, Maori E, Kalev H, Shafir S et Sela I, 2012: Bidirectional Transfer of RNAi between Honey Bee and Varroa destructor: Varroa Gene Silencing Reduces Varroa Population, PLoS Pathog. 2012; 8: e1003035. https://doi.org/10.1371/journal.ppat.1003035 PMID: 23308063

Zhang Y et Han R, 2018: A Saliva Protein of Varroa Mites Contributes to the Toxicity toward Apis cerana and the DWV Elevation in A. mellifera. Sci Rep. 8. https://doi.org/10.1038/s41598-018-21736-9 PMID: 29467400

Author
Janine Kievits dans "La Santé de l'Abeille", décembre 2021
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