Œuf fécondé ou œuf non fécondé
1. L’appareil reproducteur de la reine
L’appareil reproducteur de la reine se compose de deux ovaires logés dans son abdomen et dont ils occupent pratiquement tout le volume, après la fécondation lors du vol nuptial et l’accouplement avec plusieurs mâles. Ces organes sont composés chacun de 150 à 180 ovarioles. Celles-ci ont la forme d’un filament tubulaire qui renferme une succession d'ovocytes à différents stades de leur développement. Les ovocytes sont les cellules souches de la lignée germinale qui produiront les ovules aussi appelées gamètes femelles ou œufs non fécondés (les gamètes du mâle s’appellent les spermatozoïdes). La maturation des ovocytes commence dès l’extrémité antérieure des ovarioles, située dans la partie conique pointue des ovaires, proche de la jonction entre le thorax et l’abdomen. A l‘intérieur des ovarioles se trouvent également des cellules nourricières appelées trophocytes dont les ovocytes s’alimentent au cours de leur développement pour permettre leur différentiation en futurs ovules. A l’extrémité postérieure des ovaires, les ovarioles se rejoignent pour former l’oviducte (un à droite et un à gauche). Ces deux oviductes vont converger pour former l’oviducte médian. Ce canal permet la progression de l’ovule vers la chambre vaginale. Cette chambre vaginale est le lieu de rencontre entre l’œuf non fécondé et le spermatozoïde provenant de la spermathèque. Lors du vol nuptial, la reine est fécondée par une quinzaine de faux-bourdons qui lui transmettent entre 5 et 7 millions de spermatozoïdes. Ces derniers sont stockés dans la spermathèque ou vésicule séminale, sorte de sphère d’environ 1 ml de contenance. Autour de cette spermathèque se trouve un système très dense de trachées qui apportent l’oxygène nécessaire à la survie des spermatozoïdes pendant les 5 ans de leur stockage. Apposée à la spermathèque se trouve la glande en Y qui maintient un pH alcalin entre 9-9.5 et sécrète les substances nutritives pour le métabolisme des spermatozoïdes. Juste en-dessous de cette glande en Y, sur le canal de la spermathèque, se trouve un muscle qui sert de valve et de pompe et qui régularise le débit de quelques spermatozoïdes destinés à féconder l’ovule lors de son passage vers la valvule vaginale.
Fig. 1 : vue dorsale du schéma des organes sexuels de la reine. |
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Fig. 2 : vue latérale du schéma des organes sexuels de la reine. |
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Fig. 3 : vue schématique de la spermathèque, du canal spermatique et du sphincter musculaire permettant de bloquer ou non le passage des spermatozoïdes vers l’ovule (crédit : l’apiculture, une fascination). |
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Quelques chiffres : au meilleur de la saison, la reine pond jusqu’à 2000 œufs par jour, soit son propre poids. Au cours de ses 4-5 ans d’existence, la reine peut pondre jusqu’à 500'000 œufs. Lors de la fécondation au cours du vol nuptial, une quinzaine de faux-bourdons vont apporter 5-7 millions de spermatozoïdes, soit environ 50'000 chacun. Si tout se passe bien, la reine stocke suffisamment de spermatozoïdes pour que 10 spermatozoïdes puissent approcher chaque ovule en vue de la fertilisation.
Par comparaison, chez l’espèce humaine, au 5e mois de grossesse, les ovaires d’un fœtus de sexe féminin contiennent environ 7 millions d’ovocytes. La plupart d’entre eux sont éliminés et, à la naissance, il n’en reste qu’environ 1 à 2 millions. Après la naissance, plus aucun ovocyte n’est produit. À la puberté, seuls 300 000 ovocytes environ sont conservés, quantité plus que suffisante pour la période fertile de la vie (1 ovule / 28 jours x 30 ans = ~450 ovules). Chez l’homme, la spermatogenèse, ou formation des spermatozoïdes, se déroule au sein des tubules séminifères situés dans les testicules. Elle s’effectue dès la puberté, à partir de cellules souches, les spermatogonies, qui se multiplient par simple division cellulaire, puis par division méiosique jusqu’à un âge parfois très avancé.
Le décor est ainsi planté…
2. Mais comment la reine s’y prend-elle alors pour pondre un œuf fécondé, diploïde, ou un ovule haploïde (non fécondé) ? (1)
On se rappelle que les rayons de cire comportent des alvéoles dits « d’ouvrières » dont le diamètre est de l’ordre de 5.3 mm et des alévoles dits « de mâles », dont le diamètre est d’environ 6.3 mm. Les alvéoles d’ouvrières vont servir de nid au couvain d’ouvrières et de lieu de stockage des réserves (miel ou pollen). Les alévoles à mâles vont recevoir les ovules (œufs non fécondés) dont vont émerger, 24 jours plus tard, les faux-bourdons. On a tous observé que la reine, en période de ponte, inspecte minutieusement les alvéoles dans lesquels elle s’apprête à déposer un œuf. Elle y recherche des impuretés qui la pousseront à trouver un autre alvéole, plus propre, pour pondre. Elle inspecte également le diamètre de cet alvéole. D’après les travaux du Prof. Martin Giurfa (2), on sait que l’abeille est capable de compter jusqu’à 5 et d’organiser ces chiffres sur une ligne mentale numérique. Elle maîtrise aisément les concepts relationnels « plus petit que », « plus grand que »… Juste avant la ponte, la reine sonde l’alvéole avec ses pattes antérieures et ses antennes, puis, grâce aux récepteurs proprioceptifs appelés mécanorécepteurs (ces fameux poils à la racine des pattes et des antennes), elle mesure non pas une valeur absolue en mm, mais une comparaison entre le diamètre des alvéoles d’ouvrières (« plus petit que ») et celui des alvéoles de mâles (« plus grand que »).
- Si le diamètre de la cellule lui paraît «plus petit que», elle y pond un œuf (fécondé) en relâchant le muscle de la valve qui permet le passage de quelques spermatozoïdes depuis la spermathèque.
- Si le diamètre de la cellule lui paraît «plus grand que», elle y pond un ovule (non fécondé) en contractant le muscle de la valve qui fait obstacle au passage des spermatozoïdes.
Le Prof. Joseph Hemmerlé nous rappelle « que les ouvrières engagent l’édification de plus grandes cellules (6,3 mm de diamètre au lieu de 5,3), lorsqu’il faut préparer des mâles pour la période de fécondation. C’est donc un signal « architectural » issu du peuple d’abeilles qui, en quelque sorte, agit sur le sexe des futurs individus. Néanmoins, les choses sont un peu plus complexes que ça : la reine n’est pas qu’une exécutante ! En effet, la reine a le « loisir » de choisir les cellules de ponte (petites ou grande) et ainsi de moduler le rapport ouvrières/mâles. Et ce n’est pas fini : il existe finalement une boucle de contre-réaction, contrôlée par les ouvrières qui ont la capacité d’influer sur le rapport final ouvrières/mâles en n’élevant pas (ne nourrissant pas) des ovules de mâles, voire en les cannibalisant. »
Fig. 4 : Les poils des mécanorécepteurs enregistrent les variations angulaires des articulations |
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Fig. 5 : Ponte d'un oeuf |
3. En conclusion
La ponte résulte donc de mécanismes complexes, modulés par une reine « forte en mathématique » et dont l’appareil reproducteur est une merveille de précision biologique. Mais l’activité de reproduction de cette reine est également influencée par la population des ouvrières et par des facteurs épigénétiques (apports de nectar/pollen, saison apicole, etc.) qui confirment que l’étude de l’apiculture est vraiment fascinante.
4. Glossaire
Méiose : La méiose, est un processus de double division cellulaire et qui se déroule dans les cellules de la lignée germinale pour former les gamètes. Cette double division réduit de moitié le patrimoine génétique du noyau haploïde qui en résulte.
Mitose : La mitose est un processus de la division d’une cellule mère en 2 cellules filles. La division du noyau donne 2 noyaux diploïdes génétiquement identiques.
Ovariole : Les ovarioles se trouvent dans les ovaires des insectes ; ce sont les organes tubulaires où se forment les gamètes à partir des cellules souches de la lignée germinale logées à l'extrémité antérieure des ovaires.
Ovocyte : L'ovocyte est la cellule sexuelle femelle primaire qui va se différentier en ovule après une maturation plus ou moins longue.
Ovule : L’ovule est la cellule sexuelle femelle ou gamète femelle, qui contient la moitié du patrimoine génétique permettant, après la fécondation par le gamète mâle ou spermatozoïde, la reproduction sexuée.
Trophocyte : Un trophocyte est une cellule différentiée en cellule nourricière : elle alimente une ou plusieurs autres cellules. On en retrouve notamment dans les ovarioles des insectes méroïstiques et dans les testicules de différents animaux. Par exemple, les cellules de Sertoli dans les tubes séminifères sont des trophocytes.
Sources:
- (1) https://www.2imanagement.ch/fr/divers/liens/wwwapisavoirch/introduction-a-la-genetique-des-abeilles
- (2) https://onedrive.live.com/?cid=1CBE071B8F81D858&id=1CBE071B8F81D858%21137&parId=1CBE071B8F81D858%21104&o=OneUp
- http://www.pedigreeapis.org/biblio/books/guth/C.shtml
- https://www.cari.be/medias/abcie_articles/186_fiche_bio.pdf
- https://www.2imanagement.ch/fr/divers/liens/wwwapisavoirch/labeille-sait-faire-des-additions-et-des-soustractions
- L’Apiculture, une fascination, vol. 2, ed. VDRB 2003