La quantité de nourriture est déterminante
Une toute récente étude américaine, vient bousculer le dogme de l'élévage de reines qui existe depuis la fin des années 1890.
Dès leur initiation à l’élevage de reines, les apiculteurs apprenaient que le facteur qui détermine la caste des larves issues d’œufs fécondés est la durée de l’alimentation par de la gelée royale.
Si une larve est nourrie exclusivement avec de la gelée royale pendant les 6 jours qui précèdent l’operculation, l’insecte adulte qui émergera au 16e jour sera une reine (vierge). En revanche, si cette même larve est nourrie avec un mélange de miel/pollen pendant les derniers 3 jours qui précèdent l’operculation, ce sera une ouvrière stérile qui émergera au 21e jour. Une toute récente étude américaine publiée en 2020 dans la sérieuse Royal Society, vient bousculer le dogme ci-dessus.
Les chercheurs ont nourri des larves réparties dans 72 groupes différents en combinant 9 régimes qualitativement différents, du plus pauvre au plus riche, avec 8 régimes quantitatifs différents (160μl->370μl), plus 1 groupe dont le régime qualitatif moyen était proposé aux larves «à volonté».
Les résultats semblent démontrer que ce n’est pas la qualité de l’alimentation (gelée royale exclusive ou non) de la larve qui déterminera sa caste mais bien la quantité de nourriture à sa disposition. Les nourrices offriraient plus de nourriture aux futures reines qu’aux futures ouvrières. L’étirement d’une cellule royale permettrait aux nourrices d’apporter plus de nourriture à la larve présente.
Abstract
Chez les espèces qui s'occupent de leurs petits, l'approvisionnement a des effets profonds sur l'aptitude de la progéniture. L'approvisionnement est important chez les abeilles domestiques, car les indices nutritionnels déterminent si une femelle devient une reine ou une travailleuse stérile. On pense qu'une différence qualitative entre le régime alimentaire des larves de reines et de travailleuses est à l'origine de cette divergence ; cependant, aucun composé ne semble en être responsable à lui seul. La quantité du régime alimentaire peut jouer un rôle dans la détermination de la caste des abeilles, mais elle n'a jamais été formellement étudiée. Notre objectif était de déterminer les contributions relatives de la quantité et de la qualité du régime alimentaire au développement des reines. Les larves ont été élevées in vitro avec neuf régimes alimentaires variant en quantité de gelée royale et de sucres, qui ont été donnés aux larves en huit quantités différentes. Pour le régime intermédiaire, un traitement quantitatif ad libitum a été inclus. Une fois les adultes enfermés, la reine a été déterminée à l'aide d'une analyse des composantes principales sur sept mesures morphologiques. Nous avons constaté que les larves nourries ad libitum ne pouvaient pas être distinguées des reines élevées commercialement, et que la reine était indépendante de la proportion de protéines et de glucides dans le régime alimentaire.
Ni la teneur en protéines ni celle en glucides n'ont eu d'influence significative sur le premier composant principal 1 (PC1), ce qui explique 64.4% de la différence entre les reines et les ouvrières. Au contraire, la quantité totale de régimes alimentaires expliquait une part significative de la variation du ccomposant principal (PC1). |
Influence of diet quantity on principal component 1 (p < 0.0001, R2 = 0.3814) |
De grandes quantités de régimes alimentaires dans le dernier stade étaient capables d'induire des traits de reine, contrairement à l'idée reçue selon laquelle la détermination de la reine ne peut se faire que dans le troisième stade. Ces résultats indiquent que la quantité totale de régimes alimentaires donnée aux larves peut réguler la différence entre les castes royales et ouvrières chez les abeilles mellifères.
Conclusion des auteurs
L'état nutritionnel régule de nombreux polyphénismes d'insectes, tels que les cornes des bousiers, et la production accrue de castes non ouvrières chez les termites. On pense qu'une substance biologique active contenue dans la gelée royale détermine la caste des abeilles depuis la fin des années 1890. De nombreuses études ont évalué la détermination des castes in vivo et in vitro, et bien que ces études offrent des informations importantes, l'influence de la quantité de nourriture n'a pas été explicitement testée.
Nos résultats indiquent que la quantité du régime alimentaire est un facteur important dans la détermination de la caste. Le stress nutritionnel est un mécanisme simple et élégant de contrôle du potentiel de reproduction. Chez les vertébrés sociaux, le stress nutritionnel régule l'état reproducteur. Au cours de l'évolution de l'eusocialité chez les guêpes, le statut nutritionnel inférieur des travailleurs a probablement régulé leur statut non reproductif. Chez les espèces d'abeilles solitaires, qui représentent l'état ancestral par rapport à la socialité, toutes les larves femelles deviennent des adultes reproducteurs. Par conséquent, la détermination de la caste est une perte de potentiel reproductif chez les larves d'ouvrières, et pas nécessairement un gain de potentiel reproductif causé par l'ingestion d'un type spécial de nourriture. Au cours de l'évolution de l'eusocialité, la perte de potentiel reproductif chez les ouvrières coïncide avec le développement de multiples traits morphologiques et comportementaux qui favorisent l'aptitude à la ruche. Les miARN et l'acide p-coumarique présents dans le pollen inhibent le développement des ovaires et ne sont présents que dans le régime alimentaire des larves destinées aux ouvrières. Dans notre étude, de faibles quantités de nourriture ont inhibé le développement de la reine. Le troisième jour a longtemps été considéré comme la période critique pour la détermination de la reine, mais nos résultats suggèrent que l'état reproducteur peut être maintenu jusqu'au sixième jour si la nourriture est suffisante. Ainsi, notre étude suggère que les larves d'abeilles deviennent des ouvrières par la suppression de l'alimentation, telle que la restriction alimentaire et l'acide p-coumarique. Dans ce cadre, le mécanisme qui sous-tend l'eusocialité chez les abeilles est la restriction alimentaire, qui supprime la reproduction dans la caste des travailleurs.
Source: Bowsher JH. 2020 Diet quantity influences caste determination in honeybees (Apis mellifera). Proc. R. Soc. B 287: 20200614. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2020.0614
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